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ecolere
29 janvier 2011

Relire certaines violences scolaire au prisme de l'intelligence émotionnelle

« Les émotions ont un abécédaire, une grammaire. Alphabétisons-nous »       

  Isabelle Filliozat

Nos journaux, nos télévisions, notre gouvernement ne cessent de s’interroger sur les violences scolaires : la vision du « jeune » poignardant son professeur est vécue comme un traumatisme républicain car elle intervient dans ce que l’on nomme souvent un « sanctuaire ». Ici nous n’allons pas répondre aux seuls évènements dont cette presse est très friande : il s’agit d’évoquer la violence de tous : nous considérons que la violence du professeur envers l’élève tout comme celle de l’élève envers son professeur appartient à un même continuum que nous devons décrypter. Il s’agit ici de comprendre pourquoi ce sanctuaire sacré a-t-il pu être violé en allant à contre-courant du mouvement qui isolerait certaines institutions « à problèmes », certains « éléments perturbateurs ». En effet nous partons d’une base universelle : la relation humaine au prisme des émotions. Mais le point focal sera ici la relation d’autorité car elle est au cœur de notre question et s’harmonise avec l’angle de vue émotionnel. L’autre pan majeur de l’analyse est la mission même de l’école qui nous plonge dans la dichotomie intégration/exclusion.  Les violences scolaires résultent-elle d’une culture scolaire productrice de relations humaines violentes ? En quoi la relation d’autorité fonde-t-elle ou non un mécanisme d’intégration producteur ou non de violence ? Notre première question nous guide donc naturellement à la seconde et nous traiterons cette dernière à travers ces articulations logiques : D’abord se focaliser sur le micro-conflit au cœurs des types d’autorités dans le cadre de la salle de classe du XIXe siècle à nos jours qui montre qu’on ne peut plus concevoir la relation de la même manière puis, ensuite, s’interroger sur le mécanisme permanent des émotions qui sous-tend toute relation d’autorité afin de comprendre pourquoi il se poserait avec plus d’acuité aujourd’hui.

I Les relations d’autorités à la lumière des figures du professeur-modèle.

Nous allons ici replonger dans l’histoire de cette relation d’autorité au cœur du processus d’acculturation scolaire à la française. Nous plongeons tout autant dans l’histoire mythique- dont on a parfois une grande nostalgie - éclairées par l’histoire objective[1] de l’historien qui vient alors replacer cette culture scolaire française dans une société particulière à son époque. On pourra d’autant mieux appréhender la rupture à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Le postulat est que cette rupture que nous situons d’emblée dans l’idée d’un rejet du modèle d’autorité des  « hussards » de la IIIe République ne se trouve pas tellement au regard de cette relation d’autorité mais de la nécessité d’une compréhension nouvelle dont l’élève du XIXe siècle encadré par la société holiste aurait eu un peu moins besoin à son époque. Nous infirmerons ou confirmerons notre hypothèse. 

L’idéaltype de la relation d’autorité entre le « hussard noire » de la IIIe république et son élève semble à nos yeux être à la fois un objet d’admiration et de rejet. Il faut retrouver le contexte particulier de la salle de classe de l’époque puis le confronter au nôtre. Le 17 novembre 1883 Jules Ferry cite le père de famille comme références aux instituteurs ce qui constitue son testament de ministre de l’Instruction publique. La classe mélange plusieurs classes d’âges, l’autorité est « débonnaire, procédant par familiarité parfois un peu brusque, souvent affectueuse »[2] avec une acceptation des dysfonctionnements dû au surnombre, des différences de niveaux, des absences, on a le recours à l’entraide des élèves entre grands et petits. Un consensus implicite s’est installé. 

Contrairement au tableau que nous venons de peindre, nos questions de société actuelles montre à quel point cet idéaltype familial se trouve bouleversé. On ne peut pas retracer toute l’histoire de ces bouleversements ici mais nous pouvons confronter ce premier idéaltype à celui d’aujourd’hui en replaçant dans les contextes appropriés sans anachronisme. Jean Robert Pélissier nous expose une enquête conduite dans un collège : l’enseignant Mr Lépic s’oppose à une élève, Alice, délégué et meneuse de sa classe de 4e2. Mr Lépic est accusé par les élèves d’exclure sans justifier, de lire à haute voix des mauvais résultats et d’avoir utilisé des heures de cours pour raconter ses prouesses à la chasse. De son côté, Alice n’a pas hésité à bousculer ce professeur et l’affronter verbalement. Elle s’est imposée en nouvelle autorité dans sa classe en usant du racket des bon élèves par exemple. Le monopole du pouvoir coercitif et l’auctoritas a fui des mains de Mr Lépic.  Eric Debarbieux a mené une enquête auprès de lycéens : parmi d’autres critères le « bon prof » est celui qui a une compétence, passionné par sa matière et dont les critères d’évaluation sont justes. En parallèle on remarque depuis l’école de Jules Ferry que le modèle du père de famille s’estompe pour laisser place à une hésitation entre le professeur expert en savoir et techniques pédagogiques et le professeur animateur. L’autorité est ici définit comme une dissymétrie accepté car elle se base sur un pacte tacite symétrique sous la dissymétrie. Dans notre exemple, au cœur de la symétrie, se trouve le respect qui se manifeste par la compétence et l’évaluation juste et transparente. Mr Lépic n’était pas reconnue compétent d’où il n’avait aucune autorité à avoir aux yeux d’Alice et de sa classe. L’anecdote ne nous confronte pas seulement à deux contextes mais aussi à deux formes d’autorités : si on part du postulat que la relation d’autorité décrite pour notre classe de la IIIe république repose sur l’archétype de la famille patriarcale alors il est possible d’avancer qu’un autre type d’autorité s’impose en ce qui concerne notre classe de 4e 2 même si nous passons du primaire au collège avec des concept issues d’une étude sur des lycéens. Il en résulte qu’il est difficilement possible de transférer le modèle du XIXe siècle tel que certains nostalgiques le voudraient : nous sommes face à l’impératif d’innovation et de compréhension nouvelle dans le contexte d’une société « individualisatrice »[3]. En effet dans ce type de société la compréhension de ses mécanismes émotionnels devient une nécessité de survie qu’une société holiste encadrée par la famille, la religion et la nation aurait moins générée : la sécurité aujourd’hui est celle créé par l’individu intervenant du groupe. Dans la fatigue d’être soi Alain Ehrenberg parle de cet individu nouveau qui doit subir une pression considérable car on lui demande de s’assumer et d’être « lui-même » d’où les nombreuses dépressions qui prennent aussi la forme de la violence selon les normes intériorisées ou non par les individus. Cela ne veut pas dire que ces phénomènes étaient absents au XIXe siècle et nous n’allons d’ailleurs pas chercher à démontrer cela ici en si peu de pages.

            Le nouveau rôle du professeur engendrerait donc un type d’autorité professionnelle qui repose sur le respect qui va de la compétence à la justice et l’honnêteté. Il n’empêche que cela n’est pas suffisant pour expliquer la violence : il faut retrouver une continuité dans le temps et se demander pourquoi la question des violences scolaires appel une nouvelle compréhension de la relation d’autorité.       

II L’apport de l’intelligence émotionnelle à la crise d’autorité dans l’enceinte scolaire.

Il y a une continuité entre ces deux périodes qui réside dans un rapport humain qui serait constant : la gestion émotionnelle d’une relation d’autorité. Selon Isabelle Filliozat « la violence signe l’échec de la colère »[4]. Parler des émotions n’est pas une nouveauté mais montrer qu’elles doivent être apprises et remisent au cœur du projet pédagogique n’est pas encore acquis dans la pratique : il n’existe pas de cours de « grammaire émotionnelle » reconnues au même rang d’importance que la grammaire linguistique ou celle des mathématiques. Or il semble qu’à la lumière de nos exemples l’enjeu se trouve bien là : l’autorité imposerait à la colère un cadre et des normes pour laisser celle-ci s’exprimer et réparer la relation plutôt qu’une réaction de rejet matérialisé dans la phrase du sens commun « on ne répond pas » qui engendre l’exclusion. La colère a longtemps été vécue non comme un acte de communication salvateur d’une relation mais comme un pêché très grave et une agression. Nos modèles d’autorités sont-ils assez centrés sur la grammaire des émotions ?  

D’abord on peut reprendre le conflit entre Mr Lépic et Alice au prisme des émotions réprimés et confronter cela aux solutions retenues par l’équipe éducative face au problème. L’association Lien 31 a conduit des missions de médiations dans les écoles pour faire face à la violence scolaire. Lors d’une séance de formation à la non-violence prodigué à la classe Alice finit par craquer et exprime avec les mots qu’elle n’en peut plus d’être en première ligne face à Mr Lépic : « C’est toujours moi qui prends et jamais les autres ! ». Nous sommes donc face à un rôle social pris sous l’effet d’une représentation que l’on se fait de sa place dans le groupe. Alice s’est forgé un rôle de meneuse que Mr Lépic a confirmé par ses actes en jouant le jeu des coups et des contrecoups. Mr Lépic n’était cependant pas assez qualifié pour faire face : il n’a pas pris du recul sur son propre comportement. En effet il est à deux pas de la retraite et estime qu’ « il n’a plus grand-chose à prouver » et qu’il n’allait pas « se laisser marcher sur les pieds par une élève ». Sa conception du rapport d’autorité tranche donc avec celui d’autorité professionnelle dont nous parlons plus avant. Or nous avons aussi vu que les élèves attendent une autorité qui repose sur la symétrie par l’apport de compétence pédagogique dans son sens large qui englobe la gestion harmonieuse d’un groupe en soif d’autorité. A défaut l’élève déléguée a engendré la confusion des rôles en se substituant pour combler un vide. Nous sommes loin du modèle familiale car celui-ci n’aurait pas de légitimité. Mais la solution proposée par l’équipe éducative fut l’exclusion temporaire d’Alice. Il n’y avait même pas d’équipe éducative au sens unitaire du terme car celle-ci s’est scindé en deux camps : les uns pour la négociation et les autres pour l’exclusion, partisans du « tout répressif ». Au regard de nos réflexions sur la grammaire des émotions on se rend compte que celle-ci n’était pas au cœur des débats entre les deux équipes. Mais derrière ces deux solutions se dessinent aussi deux formes d’autorités. 

Ensuite nous voyons se dessiner l’apport de l’autorité canalisatrice des émotions : au-delà des modèles déjà évoqué la synthèse entre l’autorité du professeur-animateur et celle du professeur-expert pourrait se réaliser dans celle du professeur-médiateur qui se connaît lui-même et cherche d’abord à comprendre le message que la colère exprime, il doit avoir une compétence qui vise à régler le conflit en libérant la parole, en imposant une manière d’exprimer l’émotion et en aidant l’élève à sortir de son chaos émotionnel : ici l’intervention d’Alice dans le cadre de la formation à la non-violence montre que ce cadre lui a permis de fondre en sanglot ce qui a temporairement mit fin à l’enfermement dans son rôle social de substitution. L’apport de l’ « intelligence du cœur »[5] dans le projet pédagogique pourrait réadapter l’école à sa société et redorer le rôle du maître. Plus largement se pose le problème de la mission de l’école que l’on voudrait génératrice d’inclusion et de fraternité alors que nous constatons que pour de nombreux cas elle est génératrice d’exclusion et de violences.

Pour conclure on se rend compte que l’émotion peut être conçue comme un fait politique. Isabelle Filliozat met au cœur de la science politique la grammaire des émotions non encore enseigné à l’école car « nos émotions sont essentielles à nos bonheurs individuels, mais aussi à l’établissement d’une véritable démocratie ». Nous n’avons pas assez de lignes pour en appréhender l’impact ici ni les gains de ces nouvelles sciences qui derrière un effet de mode posent de vraies questions de société. En rattachant la grammaire des émotions à la question du système éducatif on pose les questions de formation des professeurs et des élèves aux défis d’une société « individualisatrice » où la définition de nos rôles – comme on le voit dans le cas d’Alice- se pose avec une acuité nouvelle car il y a décalage entre plusieurs conceptions de l’autorité qui ne se répondent plus. La « culture scolaire » française hésite en fin de compte entre plusieurs modèles d’autorités ce qui fait qu’il n’y a plus vraiment de culture scolaire sûr d’elle-même et uniforme car comme le dit Antoine Prost : « On ne voit pas pourtant s’annoncer avec précision un nouveau type d’école : celle du XIXe siècle  est morte, mais celle du XXIe siècle se cherche encore ». La question n’est pas forcément limité à l’école : la société occidental se chercherait de nouveaux repères comme en témoigne cette mode pour tous les livres de développement personnel dont on ne saisit pas toujours les questions de fond.     


[1][1] Dans le sens d’un effort d’objectivation, une méthode mais pas forcément une réussite qui est certainement toujours imparfaite.

[2] Antoine Prost « Quand l’école de Jules Ferry est-elle morte ? » in Education, société et politiques, édition du Seuil, p80

[3] Nous choisissons ce mot plutôt que « individualiste » car notre notion renvoi à l’idée d’individu intervenant du groupe et non d’individu coupé et libre par rapport aux normes d’un groupe.

[4] Isabelle Filliozat, « Introduction » in Que se passe-t-il en moi ?, Marabout

[5] Nom du livre d’Isabelle Filliozat

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Commentaires
ecolere
  • J'ai été élève, je suis étudiant, je deviendrais professionnel mais toujours je serais citoyen. L'école n'a pas toujours respecté mon rôle citoyen: ici je lui affirme et rappel que j'existe.
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